Rien qu’une fessée ou la violence ordinaire

Le soir du 8 avril 2018, j’ai vu la fin d’un reportage sur la protection des enfants maltraités. Ça finissait par un chapitre sur la Suède qui a interdit les fessées depuis 1979 !

Dans une classe de primaire suédoise, aucun ni aucune élève n’a levé la main à la question qui a déjà reçu une fessée ?.

C’est pour quand en France ? On croit vraiment qu’une fessée de temps en temps, c’est rien ? Apparemment, oui. Et c’est effrayant. Ce sujet est allé sur le devant de la scène en 2015 jusqu’en 2017 où la « loi anti-fessée » a été retoquée. Il revient depuis mars 2018 grâce à la ministre de la santé Agnès Buzyn.

Dans la vraie vie, ça commence par une fessée qui échappe à tout contrôle. Et c’est grave, déjà, que ça échappe à tout contrôle. Surtout s’il n’y a pas de remords, de honte à cet égard et donc pas d’excuse. Puis, la claque, la joue toute rouge. Puis, les parents qui baissent le pantalon de l’enfant pour lui mettre la fessée parce que, sinon, c’est de la triche ; ça ne fait pas assez mal. Et les parents qui rient d’avoir laissé la trace de leur main sur la cuisse de leur enfant en se plaignant de s’être fait mal à la main au passage. Ensuite, il y a le martinet, ça ne fait pas mal aux parents, ça. Et le fameux « coup de pied au cul » non plus, d’ailleurs.

Ensuite, la violence psychologique s’invite quand l’enfant pleure à cracher ses poumons : oh oui, tu es un enfant battu, tu es malheureux. Tu peux appeler SOS enfants battus ; c’est qu’une fessée. Ils ne feront rien. On a le droit.
À titre d’information, ce numéro « Enfance en danger », c’est le 119 et tous les enfants devraient le connaître.

Pas de bleu, pas de sang, ça va, c’est rien. Oui, par rapport à d’autres enfants battus, au sens de la loi et à celles et ceux présents dans le reportage, c’est rien, c’est sûr. Ou, ça a l’air de rien. Je ne suis pas sûre que les impacts psychiques sur les enfants peuvent se mesurer à l’échelle de ce qu’on leur a infligé comme degré de violence. Une enfant pleure parce qu’elle a eu mal, physiquement et psychologiquement. Elle a été humiliée. Il y a un rapport de force inégal. Elle ne va pas moins pleurer, ça ne lui fera pas moins mal si on lui dit que c’est rien par rapport aux enfants qui se font frapper plus fort qu’elle. Ça n’a aucun sens pour elle. Et il n’y a pas de raison que ça en ait ; même si, plus tard, ça l’aidera peut-être à relativiser.

Et, devinez quoi ? De l’avoir punie en la frappant n’a pas suffi à lui faire comprendre que ce qu’elle faisait était mal. C’est une enfant. Elle est en phase d’apprentissage de la vie. Elle fera d’autres bêtises, pas forcément les mêmes. Ou, elle prendra ça pour un jeu. Frapper n’aide pas à comprendre. Expliquer, oui. Ça ne veut donc, en aucun cas, dire qu’il faut laisser faire et ne pas punir mais qu’il faut communiquer. Communiquer sans violence psychologique, cela va de soi.
Il existe de la littérature au sujet des alternatives possibles comme le livre « L’autorité sans fessée » d’Edwige Antier, par exemple.

Finalement, les parents ont donc recommencé, parce qu’eux non plus, n’ont pas compris.

Dans la continuité, l’enfant se fera dire qu’elle est une enfant pourrie-gâtée, jamais contente de ce qu’elle a. Elle se prendra des fessées parce qu’elle n’a pas envie de finir son assiette, parce qu’elle dit qu’elle n’aime pas ci ou ça, parce qu’elle fait des bêtises, parce qu’elle est chiante. Allez, un peu de culpabilisation de l’enfant : Il y a des enfants qui meurent de faim ! Oui, certes. C’est une raison pour une baffe ? Est-ce que ça ne permettrait pas de noyer un peu le poisson, de se déculpabiliser en culpabilisant la victime ?

L’enfant reproduira ensuite très certainement ce qu’elle va donc considérer comme normal : bagarres dans la cour de récré, bagarre avec ses frères et sœurs, fessée à la petite sœur ou au petit frère quand il ou elle est énervante. Et pourquoi ne pas frapper les adultes aussi puisqu’ils le lui font subir ? Ce n’est pas normal ? Non ? Ah !
On sait depuis fort fort longtemps que les enfants mimétisent les adultes.

Les parents emmèneront alors peut-être l’enfant chez un ou une psychologue car ce n’est pas normal qu’elle frappe ses frères et sœurs.

Bizarrement, si les parents admettent qu’il y a un problème avec leur enfant, ils ne sont pas prêts à admettre qu’ils en sont responsables, au moins en partie, et qu’ils devraient eux-mêmes consulter, et sans doute les premiers.

Dans le reportage, une des élèves de la classe de primaire suédoise dit que ça ne viendrait à l’esprit de personne de faire ça, ou alors, il faudrait que la personne soit bourrée. En France, non, pas besoin d’avoir trop bu pour oser frapper un enfant. Il y a même des gens qui menacent de frapper leur enfant, certes très pénible, dans les transports en commun… Devant tout le monde. Honte de rien.

Ces parents reproduisent peut-être le même schéma que leurs parents qui le tiennent eux-mêmes de leurs parents avant eux et ainsi de suite. Il est grand temps de briser ce cycle. Les consciences doivent s’éveiller et c’est regrettable quand cela intervient si tard.

S’éveille alors la peur d’avoir un ou une enfant à son tour, et de voir encore une fois le cycle reprendre son cours.

Alors, on doit admettre qu’on fait du mal, qu’on ne fait pas correctement et qu’on doit se faire aider car, psychologiquement, il y a décidément quelque chose qui ne va pas.

Ces parents n’imaginent pas les séquelles cognitives et comportementales que ça peut laisser. Ils n’ont pas conscience d’en avoir eux-mêmes et d’en créer.
Il faudra parfois des années à ces enfants pour comprendre que ce n’est pas normal puis pour se reconstruire.

Dans le reportage, une maman suédoise disait que, si on veut faire de ses enfants des personnes non-violentes, alors, on ne peut pas les frapper.
On entend tellement parler de violences autour de nous qui touchent les animaux, les professeurs, le personnel soignant, les pompiers, les femmes, les personnes homosexuelles, handicapées, de couleur ou d’origine différente et plein d’autres. Je vois quand même une corrélation avec le fait qu’on apprend aux enfants la violence depuis qu’ils sont petits : une fessée et ils vont obéir. Pourquoi en serait-il autrement en grandissant ?
(À ce sujet, vous pouvez lire la méta-analyse de 2002 en lien dans les compléments de lecture en fin d’article.)

Dans le reportage, le papa suédois dit à son tour que ça ne vient pas à l’esprit des suédois de donner une fessée à un enfant parce que c’est comme si on frappait un de ses collègues. Cette comparaison peut paraître curieuse mais, en même temps, si s’imaginer frapper un collègue parce qu’il fait une bêtise est choquant, alors s’imaginer frapper son enfant doit l’être au moins autant. D’ailleurs, on peut se faire licencier pour avoir frapper un collègue. On fait quoi quand un parent donne une fessée à son enfant ?

Face à des cas plus ou moins extrêmes, si on n’interdit pas la fessée et qu’on ne met pas en œuvre les moyens nécessaires pour s’en défaire, ces cas continueront de se produire. Il y a des gens qui ne savent pas où sont les limites. Celles et ceux qui me disent moi, j’ai pris des fessées mais ça va ou je l’avais méritée quand même cette fois-là. Non. D’une part, ça vous a peut-être laissé des séquelles dont vous n’avez même pas forcément conscience. D’autre part, pour d’autres personnes, ç’a été bien plus que ça. Ça doit s’arrêter. On doit pouvoir dire aux enfants : retenez le numéro 119, c’est là que vous appelez si on vous frappe. Et on ne devrait pas avoir à ajouter mais attention, n’appelle pas juste pour une fessée !. Parce que si les parents ne sont pas à même de savoir où sont les limites, comment leurs enfants peuvent-ils le savoir ? Comment peut-on les sauver à temps ? Il n’existe aucune raison valable et suffisante qui devrait amener à frapper un enfant.

Pour finir, la journaliste disait dans le reportage qu’il y a, proportionnellement à la population, deux fois moins d’enfants placés pour maltraitance en Suède par rapport à la France.

Alors, c’est rien, une fessée de temps en temps ?


Complément vidéo

Vidéo : « Et tout le monde s’en fout #21 – La violence ».

Compléments de lecture

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