Lettre à la SNCF : colère et déception pour avoir oublié les personnes handicapées

Chère SNCF,

On se connaît toutes les deux. J’ai travaillé sur le projet de refonte de ton site SNCF.com d’à peu près décembre 2016 à mai 2018 au sein d’une équipe prestataire ; jusqu’à ce que je change d’entreprise. Je suis intégratrice HTML / CSS et consultante en accessibilité web. Pour ce deuxième métier, mon rôle est d’aider à concevoir des sites web respectant les règles d’accessibilité pour que les personnes handicapées puissent accéder aux informations et services d’un site web comme n’importe qui d’autre.

J’ai accompagné les intégrateurs et intégratrices web, les développeurs et développeuses de mon équipe à la réalisation de ton site selon les règles d’accessibilité. J’ai aussi participé à de nombreux échanges avec l’équipe de conception graphique, prestataire elle aussi, afin de m’assurer que ce qui était conçu était réalisable techniquement et accessiblement parlant. J’ai assisté à de nombreuses réunions où on présentait les fonctionnalités à développer. J’ai écrit de nombreuses lignes de préconisations pour que ce soit développé correctement. Toutes ces réunions avaient lieu en présence de personnes de l’équipe métier, de ton côté. J’ai travaillé très dur sur ce projet ; j’ai donné énormément de ma personne. Je le connaissais par cœur. Quand on me posait des questions qui parlaient de sujets datant de 6 mois auparavant, je savais répondre. Et toutes les personnes impliquées dans le projet ont pris des habitudes pour l’accessibilité. Elles ont fini par poser d’elles-mêmes les questions que j’étais la seule à poser au début du projet. Côté métier SNCF, les personnes avec qui j’ai travaillé étaient archi-convaincues de l’importance de l’accessibilité et très à l’écoute. Grâce à elles, on a pu aller vraiment dans le bon sens. Et elles ont, bien sûr, mandaté une entreprise externe pour réaliser les audits de contrôle de l’accessibilité. Entreprise que j’ai pu solliciter lorsque je n’étais pas sûre de moi sur certains points. Tout le monde travaillant sur ce projet a été sensibilisé au sujet de l’accessibilité web grâce à tout ce travail en harmonie.

J’ai adoré ce projet. C’est l’un des plus beaux projets sur lesquels j’ai travaillé.

Quelle n’a pas été ma déception lorsque, hier, j’ai vu un tweet sponsorisé de OUIGO SNCF dans mon fil d’actualités Twitter où tous les principes et règles d’accessibilité étaient bafouées.

Mon impulsivité a pris le pas direct. Ma colère est montée en flèche en voyant ce tweet et a eu grand peine à redescendre. Une fois encore, les personnes handicapées ont été mises de côté. Et ça me met très en colère. Pourquoi ? Parce que ce n’est qu’en 2005, en France, par la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, qu’on a commencé à prendre en compte le fait que les personnes handicapées ont le droit, elles-aussi, d’accéder aux contenus et services en ligne. 2005 ! Déjà, ça a mis du temps. Et aujourd’hui, nous sommes en 2019. Cela va faire bientôt 15 ans que cette loi existe et qu’elle n’est pas appliquée ! Et cette loi, elle concerne des êtres humains auxquels on ne donne pas les mêmes droits qu’aux autres en ne leur rendant pas accessibles les contenus et services. Alors, certes, l’État ne fait pas tellement son travail jusqu’au bout car il n’est pas intransigeant sur le sujet. On ne commence que maintenant à parler de sanctions financières. Mais toi, chère SNCF, en tant que délégataire d’une mission de service public, tu as l’obligation de rendre tes services de communication au public en ligne accessibles, depuis le début, depuis 2005. Et je sais que tu travailles sur le sujet ; on peut d’ailleurs le voir sur ta page accessibilité de SNCF.com, et ta page accessibilité de Ouigo.com. Il y a sans doute même des associations qui te mènent la vie dure à ce sujet. Elles auraient raison !

Moi, je t’écris en tant que personne. Je ne fais partie d’aucune association. Et je t’implore, SNCF, de respecter la loi en toutes circonstances, de respecter les personnes handicapées en toutes circonstances.

Hier, le 8 avril 2019, tu as donc fait la promotion d’un jeu concours sur Twitter (voici le tweet en question (Web Archive)) où tu as écrit en détournant des caractères Unicode pour écrire « en petit » pour « murmurer » dis-tu. Ces caractères Unicode ne sont pas des vraies lettres et, par conséquent, elles ne sont pas restituées par les lecteurs d’écran qu’utilisent notamment les personnes aveugles pour naviguer sur le web et savoir ce qui est écrit à l’écran (entre autres). Par exemple, les lettres « a » ont été remplacées par le caractère « Lettre modificative minuscule a », les lettres « n » par le caractère « Exposant lettre minuscule latine n ». D’ailleurs, si les lecteurs d’écran se mettaient à assurer le support de ces caractères, la logique voudrait qu’ils le fassent en donnant le nom du caractère et non en disant la lettre à laquelle ils ressemblent (c’est ce qui a été fait jusqu’à présent). On me dit aussi qu’on peut paramétrer dans les lecteurs d’écran pour que les fausses lettres soient lues comme des vraies lettres alors « ça va ». Non, ça ne va pas ! C’est juste un moyen de mettre la poussière sous le tapis.
D’ailleurs, j’ai essayé dans le lecteur d’écran NVDA, pour voir si ça lisait les mots ou plutôt les lettres, et ça n’a pas fonctionné du tout. Ça ne lit toujours rien. Alors, j’ai peut-être raté quelque chose mais dans ce cas, ça montrera au moins que ce n’est pas si simple. Par ailleurs, pour qu’une personne aveugle puisse associer un caractère (dont elle ne peut savoir qu’il est présent) à la bonne lettre, elle aura besoin de l’aide d’une personne qui voit. Et autant te dire qu’associer au moins 26 caractères à 26 autres, ça demande du temps.

Et si on arrêtait de demander aux personnes handicapées de s’adapter ? Elles galèrent suffisamment comme ça au quotidien avec l’inaccessibilité des sites web pour qu’on leur fasse l’honneur de nous adapter à elles ! Et puis, quoi ? L’accessibilité, c’est un droit et pour toi, SNCF, c’est un devoir de le respecter !

Par ailleurs, selon l’environnement dans lequel on visualise ce tweet, on le lit plus ou moins bien. Sur mon ordinateur, par exemple, c’est une véritable horreur à lire.

Tweet de Ouigo capturé sur mon ordinateur
Tweet de Ouigo capturé sur mon ordinateur. Il est écrit « Aujourd’hui, on met Twitter en sourdine. Murmurez la destination de vos rêves et tentez de gagner 20 allers / retours en Ouigo. » en caractères spéciaux Unicode très très petits où les lettres n’ont pas toutes la même dimension.

En revanche, il semble que, peu importe l’environnement dans lequel le tweet est visualisé, les personnes dyslexiques et les personnes malvoyantes aient de grosses difficultés à lire le tweet également.

De plus, la vidéo associée au tweet n’est pas sous-titrée. Cette fois, c’est pour les personnes sourdes et malentendantes qu’on rend des informations inaccessibles. Par ailleurs, les textes incrustés dans la vidéo ne sont pas lus et ne seront donc, encore une fois, pas accessibles aux personnes aveugles voire malvoyantes.
Et puis, le site web que tu as communiqué pour transformer un message en « murmure » inaudible ne respecte pas non plus les règles d’accessibilité.

Et finalement, ce n’est pas juste un tweet. C’est un jeu concours où tout le monde pollue Twitter avec des tweets illisibles, inaccessibles et où tout le monde n’est pas égal puisque certaines personnes sont, de fait, exclues du concours. Vois-tu le contexte de discrimination ? Et toi, SNCF, tu as continué toute la journée à publier ce genre de tweets alors que plusieurs personnes t’ont informées des problèmes posés (mes réactions sont ici en citant ton tweet (Web Archive), et dans une réponse directe sous ton tweet mais il y en a eu d’autres, même avant les miennes !). Aucune réaction de ta part. Juste, plusieurs nouveaux tweets dans la journée publiés par le compte @ouigoSNCF et même un tweet publié et épinglé par ton compte officiel @SNCF (Web Archive). Serait-ce du mépris ? En vérité, je ne crois pas. Je crois qu’il faut du temps pour prendre les bonnes décisions pour réagir.

Par la présente lettre, SNCF, je t’implore de, dorénavant, mettre un point d’honneur à respecter les règles d’accessibilité et les personnes handicapées dans toutes tes communications quelles qu’elles soient. Je t’invite même à consulter les agences spécialisées dans l’accessibilité qui t’accompagnent et à consulter les associations de personnes handicapées afin qu’elles t’accompagnent jusqu’au bout.
Il ne s’agit pas juste d’un tweet, juste d’une campagne. Il s’agit aussi de toutes les autres que tu produiras à l’avenir. Il s’agit du respect de toutes et tous.

Je sais que tu n’es pas la seule à ne pas respecter les règles d’accessibilité. Il y a plein de sites de l’État comme ça. Mais je t’avais érigée en modèle avec SNCF.com, je parlais même de toi à tout le monde sur le sujet de l’accessibilité. La déception a donc été d’autant plus grande. Je sais que tu es capable de le faire et je te soutiens pleinement !

En espérant que tu liras ces lignes, que tu sauras prendre la mesure des enjeux et que tu réagiras favorablement comme tu as déjà su le faire par ailleurs,

À très bientôt sur les rails,

Julie Moynat

Un commentaire sur « Lettre à la SNCF : colère et déception pour avoir oublié les personnes handicapées »

  1. Ton article est bien dit
    Je sais ce que cela fait de faire partie de ces handicapés oubliés et obligés de s’adapter avec ce qu’on a, c’est parfois difficile de demander de l’aide, c’est un peu une part de honte et ce n’est pas simple de l’assumer

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