Les outils de surcouche d’accessibilité web : mensonges et boules de gomme

Vous avez sûrement vu passer des sites web avec des boutons appelés « Accessibilité » ou avec une icône de personne en fauteuil roulant ou une icône basée sur l’homme de Vitruve. Ou alors, peut-être ne les avez-vous même pas remarqués car ils sont parfois bien cachés. Nous les appellerons ici des « outils de surcouche d’accessibilité web » (en anglais, ils sont appelés « accessibility overlays »).

Lorsqu’on clique sur un de ces boutons, cela ouvre généralement un panneau avec de nombreuses options pour, notamment, personnaliser l’apparence du site : augmenter les contrastes de couleurs du texte, augmenter la taille de police ou l’interlignage, arrêter les animations, etc.

Icône de personne en fauteuil roulant
Icône de personne en fauteuil roulant utilisée couramment pour représenter le handicap. (Source de l’icône)
Icône basée sur l’homme de Vitruve (un personnage avec les bras et jambes écartées)
Icône basée sur l’homme de Vitruve utilisée pour représenter l’accessibilité. La présente icône est celle de GNOME project. (Source de l’icône)

Sur le web, ces boutons fleurissent de plus en plus. Ce sont des outils qui se disent être des « solutions d’accessibilité web » ou des « solutions d’accessibilité numérique » et qui disent permettre de rendre les sites accessibles. Parfois, les entreprises éditrices de ces outils disent même que cela va rendre les sites conformes au RGAA (Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité, le référentiel d’accessibilité français) ou aux WCAG (Web Content Accessibility Guidelines, la norme internationale) au niveau AA (double A, le niveau légal attendu dans la législation européenne et française notamment).

Si ces outils peuvent parfois améliorer le confort d’utilisation de certains sites ou vous aider à vous conformer à certains critères d’accessibilité (à ce sujet, vous pouvez lire mon article « Contrastes de couleurs de texte (partie 3) : le mécanisme d’amélioration des contrastes » sur le blog de Tanaguru), la façon dont ils sont déployés et vendus pose question. De plus, parfois, cela ajoute de nouveaux problèmes d’accessibilité ou d’utilisabilité au site. Parfois, cela ne corrige rien du tout car ça ne fonctionne pas complètement.

On reproche beaucoup de choses à ces outils. Certaines personnes ont besoin d’arguments, de sources lorsqu’on leur suggère d’installer ce genre d’outils au lieu de mettre en place une démarche de mise en accessibilité globale d’un site web. Je pense qu’il est donc nécessaire de faire le point sur le sujet pour savoir à quoi nous en tenir.

Pourquoi des outils de surcouche d’accessibilité web ?

Les outils de surcouche d’accessibilité web existent et sont très à la mode parce que :

  1. Les règles d’accessibilité des WCAG peuvent se montrer très (trop ?) permissives en permettant l’utilisation de mécanismes pour respecter certains critères comme celui sur les contrastes, par exemple.
  2. La première version des WCAG date de 1999. Pourtant, on n’arrive toujours pas à faire en sorte que les designers produisent des maquettes conformes aux règles d’accessibilité et que les développeurs et développeuses produisent un code conforme aux mêmes règles. L’accessibilité commence tout juste à s’intégrer dans les formations des métiers du web – et encore, à ce stade, on n’en est qu’à parler de sensibilisation au sujet alors que cela devrait faire partie intégrante de chaque matière enseignée.
  3. Comme les sites web ne sont pas conçus de façon accessible dès le départ, la correction vers une mise en accessibilité coûte cher. Comme les personnes réalisant les sites web ne sont pas formées à l’accessibilité, concevoir accessible dès le départ coûte cher également.
  4. Pour les mêmes raisons que précédemment, réaliser un site accessible aux personnes handicapées et conforme aux règles d’accessibilité peut donc prendre un peu plus de temps que ce qu’on aimerait.

Face à ce constat, des entreprises ont trouvé le bon filon : créer des outils qui permettront de promettre qu’ils vont rendre les sites accessibles voire conformes aux règles d’accessibilité (et donc à la loi) en un clic. Une ligne de code et c’est tout bon. Forcément, ça fait rêver. Et ce n’est qu’un rêve.

Que reproche-t-on à ces outils de surcouche d’accessibilité web ?

1. Les mensonges et les non-dits, une absence d’éthique

– Alors, je clique là et paf, ça fait un site accessible ? Magie !!!

Boules de gomme
Boules de gomme hautes en couleur, comme un outil-surcouche d’accessibilité mais, ça colle et c’est très sucré… (Photo de Freepik)

– Ah, en fait, non ! C’est marrant, quand j’active le mode des contrastes renforcés, il y a des couleurs qui ne changent pas et restent en texte orange sur fond blanc !

– Tiens, quand j’agrandis la taille de police, les textes sortent du conteneur et se chevauchent. Oh mais ceux-là ne s’agrandissent pas !

– Raaaah mais pourquoi la navigation clavier ne fonctionne pas ?! Naaaan ! Ils ont bloqué la navigation clavier pour me forcer à utiliser leur outil en cliquant sur ce bouton d’activation de la navigation clavier ! Un peu plus et on me bloquait mon pointeur de souris pour me demander si je souhaite activer la navigation à la souris ! Oh là là ! Maintenant je prends le focus sur des titres qui ne sont même pas cliquables !

– Ah mais quand je demande de stopper les animations, ça ne stoppe pas le carrousel qui tourne automatiquement sans s’arrêter !

– Mais qu’est-ce que c’est que ces outils ? On nous promet des licornes qui pètent des arcs-en-ciel et on ne fait que d’avoir des bulles de chewing-gum qui nous explosent à la figure !

Voilà, ça, c’est moi qui monologue dans ma tête quand je teste les outils-surcouches d’accessibilité web. Les résultats ne sont pas glorieux, n’est-ce pas ?

De nombreuses entreprises éditrices d’outils-surcouches d’accessibilité mentent pour vendre leur produit. Les mensonges sont souvent affichés très fièrement sur le site de vente, sont véhiculés via des vidéos publicitaires, dans les discours de vente. Tout ceci n’est que publicité mensongère. Parfois, les messages se font plus subtils. Certaines entreprises font en sorte de bien tourner les phrases dans leur communication pour que les personnes qui n’y connaissent rien pensent que ces outils rendent effectivement les sites accessibles et conformes et que, par conséquent, elles n’auront pas besoin d’agir sur le code source de leur site. Parfois, ces entreprises laissent dire n’importe quoi aux journalistes sur leur outil et ce sont donc ces journalistes qui véhiculent de fausses informations, qui servent à la marque qui ne les contredit pas. Tout semble bon à prendre pour le business. Mais, par ailleurs, si tous et toutes les journalistes racontent le même n’importe quoi, ne pourrait-ce pas être parce qu’on leur dit n’importe quoi ou parce qu’on leur explique mal ?

C’est un mensonge de dire que ces outils peuvent rendre un site accessible car si un outil peut effectivement améliorer la navigation pour certaines personnes avec certains handicaps, il ne pourra jamais couvrir tous les besoins pour tous les handicaps (qui ont différentes formes et différents degrés). Par exemple, de nombreux critères d’accessibilité portent sur la pertinence. Comment ces outils pourraient-ils juger seuls de la pertinence d’un intitulé de lien, d’une étiquette de champ de formulaire, d’un intitulé de bouton, d’un titre, de l’alternative d’une image, etc ? Comment pourraient-ils faire fonctionner au clavier un composant ne fonctionnant qu’à la souris car réalisé sans bouton mais avec des <div> (un élément HTML qui n’est pas compatible avec la navigation au clavier). Il faut déjà deviner qu’il s’agit effectivement de boutons et ensuite, il faut que le comportement soit retranscrit avec les bons états pour une personne qui utilise un lecteur d’écran (exemple : pour un bouton ouvrant un accordéon, le bouton doit dire si l’accordéon est plié ou déplié)…

Fait rigolo : une fois, j’étais sur la page « Accessibilité » d’un site web qui avait une obligation légale de le rendre accessible aux personnes handicapées. Et, que vois-je ? Cette page faisait la promotion d’un outil-surcouche. Visiblement, l’entreprise a cru que c’était bel et bien un outil magique. Elle écrivait que son site était accessible grâce à cet outil et, accessible à tous types de handicaps. Il y avait une petite liste de handicaps où figurait la surdité. À côté de cette liste, se trouvait une vidéo de publicité de l’outil en question : non sous-titrée donc inaccessible aux personnes sourdes et malentendantes. La preuve est donc là sous le nez de l’entreprise mais sa méconnaissance du sujet et la malhonnêteté de l’entreprise lui vendant l’outil qui ne lui explique pas clairement les choses font que ce genre de situation existe.

Donc, vous l’avez compris, l’accessibilité et la conformité aux règles d’accessibilité au niveau AA (double A) ne peuvent pas être totalement atteintes avec ces outils.

Par ailleurs, pour un organisme concerné par l’article 47 de la loi no 2005-102, un outil-surcouche ne permettra jamais qu’il soit en conformité avec cette loi. En effet, la loi demande les points suivants :

Par conséquent, cela implique de réaliser un audit de conformité du site web à partir d’un échantillon de pages représentatif du site web. Ensuite, il faudra faire le nécessaire pour rendre son site web accessible et se conformer à son schéma pluriannuel au risque d’avoir des plaintes des usagers et usagères pour inaccessibilité du site.

J’ai lu aussi que ces outils amélioreraient le référencement naturel (SEO) des sites. C’est faux aussi car quand on dit que respecter les règles d’accessibilité peut améliorer le référencement naturel, c’est quand on respecte les règles dans le code HTML et notamment en ce qui concerne la pertinence de l’élément <title> ou la hiérarchisation du contenu en titres. Les outils-surcouches d’accessibilité ne peuvent pas faire ça correctement (ou le faire tout court) et ne peuvent donc pas améliorer le référencement naturel.

2. Des fonctionnalités qui ne fonctionnent pas toujours

Mon petit monologue du chapitre précédent vous montrait que ces outils ne peuvent pas rendre conformes les sites web car, parfois, ça ne fonctionne pas comme on le voudrait. Comme ils sont majoritairement ajoutés sur des sites web qui ne sont pas conformes aux règles d’accessibilité, cela arrive très fréquemment.

Je vous invite à aller voir le site de ces entreprises qui créent ces outils et de tester leur surcouche d’accessibilité directement sur leur site : activez le mode de contrastes renforcés, agrandissez la taille de police, etc. Souvent, on voit apparaître des endroits du site où le texte devient illisible.

Si ça fonctionne plutôt bien sur le site de ces entreprises, allez donc trouver les sites de leurs entreprises clientes pour tester.

3. L’ajout de nouveaux problèmes d’accessibilité dans les sites

Non seulement, toutes les fonctionnalités de ces outils ne fonctionnent pas toujours mais, en plus, ces outils peuvent ajouter de nouveaux problèmes d’accessibilité sur les sites web.

C’est tout le problème quand on réalise des outils d’accessibilité sans avoir pris la peine de bien se former au sujet. On pense résoudre des problèmes en en créant de nouveaux. Je ne dis pas qu’on ne veut pas bien faire mais, en fait, l’accessibilité, ce n’est pas si simple qu’on aimerait le croire.

Parmi les problèmes les plus courants, on trouve l’utilisation de bouton-icône sans intitulé à l’intérieur donc, lorsqu’on désactive les feuilles de style, on ne voit plus le bouton (j’ai écrit un article sur la façon de procéder, d’ailleurs) ; ou encore la mauvaise utilisation d’ARIA. J’ai également rencontré un de ces outils qui est totalement inutilisable au clavier alors qu’il possède une fonctionnalité « Navigation clavier » ; c’est à n’y rien comprendre.

Si vous voulez utiliser un outil-surcouche, faites-vous assurer par des experts et expertes tierces qu’il est bien accessible. C’est quand même un comble de vendre un outil en disant qu’il rend les sites accessibles alors qu’il ne l’est déjà pas lui-même !

4. Le manque d’ergonomie globale et la phase d’apprentissage

Les outils-surcouches d’accessibilité ont des modes de présentation et de fonctionnement parfois assez similaires entre eux mais ils sont parfois complètement différents. Il y a des différences qui suffisent déjà à ne pas pouvoir les identifier ou les trouver dans la page web.

Parfois, c’est un bouton dans l’en-tête du site, bien visible. Parfois, il est caché dans le pied de page. Parfois, c’est un bouton fixe à gauche, à droite, en bas, au milieu de la page web, ça dépend. Parfois, il n’y a même pas de bouton car l’outil se configure sur le site de la marque et on arrive sur le site déjà configuré sans s’en douter (et donc, on ne comprend pas toujours pourquoi le site est tout cassé…). Parfois, c’est une icône de personne en fauteuil roulant ; ce qui pose un problème d’identification car une personne avec un handicap cognitif, par exemple, ne s’y reconnaîtra pas vraiment. Parfois, c’est une icône d’homme de Vitruve simplifié ; dans laquelle il est également difficile de s’identifier. Parfois, c’est le logo de la marque donc, si on ne connaît pas l’outil, il est impossible de se douter de ce qui se cache derrière. Parfois, le bouton s’appelle « Accessibilité » mais, ça ne parle pas non plus à tout le monde.

Il faut quand même bien se rendre compte qu’il y a des personnes qui ont un ou des handicaps et ne le savent pas (ou pas encore). C’est assez fréquent que les diagnostics de troubles cognitifs arrivent à l’âge adulte, par exemple. Par conséquent, s’identifier dans une icône ou un mot lié au handicap ou à l’accessibilité n’est pas possible pour ces personnes alors qu’elles pourraient aussi avoir besoin de personnaliser l’apparence du site pour mieux lire l’information, par exemple.

Une fois, le bouton trouvé et compris, il faut encore apprendre à utiliser l’outil. Comme il en existe de nombreux différents, c’est un nouvel apprentissage à chaque fois. J’imagine bien qu’on puisse passer encore plus de temps à les configurer qu’à trouver l’information qu’on venait chercher.

Je serais curieuse de voir le résultat indépendant de tests utilisateurs et utilisatrices de ces différents outils.

5. L’utilité limitée

Les outils de surcouches d’accessibilité web ont une utilité limitée.

D’une part, ils ne peuvent pas couvrir les besoins de toutes les personnes handicapées pour tous les types de handicap. Par exemple, ils ne couvrent pas les besoins pour les personnes sourdes et malentendantes car ils ne sous-titrent pas les vidéos (et s’ils le faisaient, ce ne serait pas satisfaisant à 100% puisqu’à ce jour, il faut toujours corriger humainement les sous-titres automatiques). Ces outils ne couvrent pas non plus les besoins pour les personnes aveugles car ils ne savent pas rendre les éléments pertinents quand ils ne le sont pas, ou encore rendre les scripts accessibles aux lecteurs d’écran.

D’autre part, sur des sites individuels, on offre des moyens de compensation mais ça ne résout rien : la personne sera bien passée par son système d’exploitation et son navigateur, voire par un moteur de recherche avant d’arriver sur le site avec outil de surcouche. Comment donc a-t-elle pu faire pour arriver jusque là sans outil dédié ? Si ces entreprises fabricantes de ces outils se préoccupaient vraiment des personnes handicapées, elles réaliseraient des outils qui peuvent permettre d’agir sur tous les sites web (voire sur tous les logiciels de l’ordinateur) et pas uniquement sur les sites web qui ont payé leur « solution », qui de fait, n’en est donc pas vraiment une à 100%.

Ça couvre parfois des besoins qui pourraient être couverts par des solutions plus globales et donc profiter aux utilisateurs et utilisatrices tout le temps. Au lieu de promouvoir ces outils bien meilleurs et de les améliorer encore, on réinvente la roue. Par exemple, certains outils-surcouches ont une fonctionnalité de lecteur d’écran alors que des logiciels existent et qu’ils fonctionnent heureusement pour l’ensemble de l’ordinateur.

La façon dont ces outils sont vendus est la preuve qu’on se moque bien des personnes handicapées et que c’est juste une question de business : non seulement les arguments sont mensongers mais, si on voulait solutionner les difficultés d’accès pour certains utilisateurs et utilisatrices, on créerait des extensions de navigateurs ou des logiciels / applications et non des widgets que chaque site doit payer et installer. Et il faudrait, bien sûr, en faire la promotion pour que les personnes en ayant besoin les connaissent et les utilisent.

Pour ma part, les carrousels qui tournent en boucle, les GIFs animés, les animations en tout genre m’empêchent de lire le contenu des sites car ça me distrait. On en voit partout mais on propose comme solution de seulement corriger ce problème dans les sites qui utilisent ces widgets ? Ce n’est pas comme ça que ça doit fonctionner ! C’est partout que je dois pouvoir arrêter ces animations ! Les sites web doivent corriger ce problème individuellement mais soyons réalistes, le web n’est pas accessible (voir l’étude, en anglais, de WebAIM sur l’accessibilité d’un million de sites web). Les gens qui réalisent les sites web ne connaissent pas l’accessibilité ou s’en fichent carrément. C’est donc dans le navigateur qu’en tant qu’utilisatrice, j’aimerais pouvoir agir, faute de mieux. D’ailleurs, quand je tombe sur des articles avec des contenus animés dans tous les sens, je ne prends pas le temps de chercher s’il y a un bouton « Pause » dans le site web caché je ne sais où, je m’en vais.

6. Le respect de la vie privée en question

Qu’en est-il du respect de la vie privée avec ces outils ? Comment fonctionnent ces outils qui enregistrent des profils en cookies ou en stockage local ? Pour ce qui concerne les outils-surcouches payants, il y a des données qui partent vers l’entreprise éditrice (on le voit bien quand on a installé l’extension uBlock Origin pour bloquer les publicités et autres). Cela en fait un outil tiers qui recueille les données des utilisateurs et utilisatrices ; et, bien souvent, sans leur consentement puisque le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) n’est toujours pas respecté (tiens, encore une loi dont les entreprises se moquent !).

D’ailleurs, si on se soucie du respect de sa vie privée et qu’on bloque les cookies tiers, certains outils ne vont pas fonctionner donc, plutôt que de désactiver totalement ce blocage, il faudrait savoir mettre le domaine de l’outil en liste blanche ; ce qui n’est pas forcément simple.

Le pistage c’est un peu comme le chewing-gum collé à la chaussure : on a du mal à s’en débarrasser. Dans le cas de ces outils-surcouches, c’est d’autant plus embêtant lorsque, pour l’utiliser, on donne carrément le nom de sa maladie ou handicap alors qu’on préfèrerait que cela reste confidentiel. Et avec quoi est couplée cette information ? On le sait, quand il s’agit de statistiques, les entreprises ont tendance a recueillir bien plus d’informations que nécessaire. Il est donc plus que légitime de se poser la question et d’en attendre des réponses claires et précises.

Quand on travaille dans le domaine de l’accessibilité web, on entend beaucoup la question « et ça concerne combien de personnes ? » pour avoir besoin d’une justification monétaire pour faire le travail de mise en accessibilité. Combien de personnes faut-il laisser sur le carreau avant de rendre son site web accessible ? Est-ce bien normal de monter des barrières et de laisser des gens sans solution pour les franchir ? Pourquoi faudrait-il franchir des barrières, d’abord ? Oui, ce sont des entreprises et elles doivent générer du chiffre d’affaires, faire rentrer de l’argent pour en sortir le moins possible. Mais dans ces entreprises, il y a des êtres humains qui devraient avoir une conscience. Avoir besoin de savoir combien de personnes handicapées consultent un site web pour justifier sa mise en accessibilité est tout sauf éthique.

On n’a pas besoin de savoir combien de personnes handicapées et avec quels types de handicap consultent nos sites web pour les améliorer car on a des lois à respecter, car on a des règles d’accessibilité établies qui sont une norme internationale (WCAG) à suivre, car on peut réaliser, en complément et après mise en conformité, des tests utilisateurs / utilisatrices avec des personnes handicapées, car on doit donner un moyen de contact (accessible !) en cas de difficulté à naviguer dans le site web. Et puis, si on savait quel type de handicap a telle ou telle utilisatrice, qu’en ferions-nous de toutes façons ? On installe des outils-surcouches qui peuvent pister les personnes handicapées et on ne fait donc rien de plus pour améliorer nativement l’accessibilité des sites web. Alors, pourquoi pister ?

7. Un possible impact sur la sécurité et performance

Les outils-surcouches utilisent des scripts pour fonctionner. Ces scripts ne sont pas forcement hébergés en local (notamment pour les outils payants et propriétaires) et restent, dans ce cas, sur le domaine de l’entreprise éditrice de l’outil. Par conséquent, ceux-ci pourraient se faire pirater et les sites implémentant ces outils seraient également impactés.

De même, si ces outils ont des défauts de performance ou si le serveur où ils sont hébergés devient indisponible à un moment donné, cela peut impacter les sites qui les intègrent. Ça s’est déjà vu quand les serveurs de Facebook sont tombés en panne : les sites qui avaient implémentés le bouton « J’aime » rencontraient de grosses difficultés d’accès.

Bref, comme n’importe quel script sur un serveur tiers qu’on implémente sur son site, on insère là une vulnérabilité.

Et je me marre d’avoir écrit ça juste avant qu’on me signale, la semaine dernière, qu’un des outils-surcouches a justement rencontré un problème (a priori sur son serveur) qui faisait télécharger aux utilisateurs et utilisatrices de tous les sites ayant l’outil installé un document sans extension qui était, en fait, un fichier PHP.

Quelle est la vraie solution pour rendre les sites accessibles et conformes aux règles d’accessibilité ?

  1. Se former à l’accessibilité numérique pour ne pas se faire avoir et / ou pour savoir faire (le type de formation dépend du métier exercé) et former toutes les personnes qui interviendront dans la réalisation d’un projet ;
  2. Quand on réalise un projet depuis zéro :
    1. Se faire accompagner pour savoir ce qu’il faut intégrer comme besoin et règles (dans l’expression de besoin, dans les spécifications, etc.) et pour choisir la bonne entreprise prestataire ;
    2. Prendre en compte l’accessibilité dès l’étape de l’expression de besoin du projet ;
    3. Prévoir du budget ;
    4. Réaliser des maquettes ergonomiques et graphiques en respectant les règles d’accessibilité ;
    5. Intégrer et développer en respectant les règles ;
    6. Faire vérifier la conformité des maquettes, puis des développements ;
    7. Intégrer les tests de base d’accessibilité dans les scénarios de tests (navigation clavier, validateur de code, etc.) ;
    8. Faire réaliser un audit et corriger les anomalies remontées (il ne devrait pas y en avoir beaucoup si on a suivi les étapes précédentes !) ;
    9. Continuer à former les nouvelles personnes arrivant sur le projet, à tester même après la mise en production. L’accessibilité doit suivre le fil de la vie d’un projet ; elle ne s’arrête pas à la mise en production.
  3. Quand le projet existe déjà :
    • Définir son budget : ne pas le gâcher dans des surcouches d’accessibilité web qui ne rendront pas un site conforme ou accessible à toutes les personnes handicapées. En cas de petit budget, voir déjà ce qui pourrait être corrigé en fonction de ça ; cela peut permettre de lever les barrières les plus importantes dans un premier temps. Établir un plan d’action, un schéma pluriannuel. Il faut parfois un peu de temps mais c’est un sujet à prendre au sérieux.
    • Vérifier rapidement que son site ne contient pas les problèmes les plus évidents et les faire corriger ;
    • Se faire accompagner vers une mise en accessibilité complète.
  4. Écrire une page détaillant sa politique d’accessibilité :
    • Ne pas dire que le site est conforme aux règles si ce n’est pas vrai, ni si on n’a pas fait réaliser d’audit d’accessibilité : dire qu’on fait de son mieux (si c’est vrai) et préciser les actions entreprises et celles à venir. Donner un moyen de contact (accessible, bien sûr !) en cas de problème. De nombreux sites liés au handicap mentent en écrivant dans leur page « Accessibilité » qu’ils sont accessibles et conformes. Quel intérêt de mentir à des personnes qui vont se rendre compte que ce n’est pas le cas de toutes façons ?
    • Quand on fait la démarche d’accessibilité jusqu’au bout, on rédige une déclaration d’accessibilité que l’on publie avec un schéma pluriannuel (maximum 3 ans) de mise en conformité avec le plan d’action de l’année en cours. Ces pages ne se rédigent généralement pas sans accompagnement par des personnes expertes en accessibilité numérique.
      • Si vous êtes dans le cadre du RGAA, la page « Obligations d’accessibilité » détaille la façon de se mettre en conformité avec la loi (si vous êtes un organisme concerné) et donne les clés pour rédiger une déclaration d’accessibilité et un schéma pluriannuel.
      • Si vous êtes dans le cadre des WCAG, l’ensemble de pages « Developing an Accessibility Statement » explique pourquoi et comment rédiger une déclaration d’accessibilité, propose un générateur et des exemples.
  5. Enfin, si vous souhaitez vraiment mettre un de ces outils-surcouches sur votre site web :
    • S’assurer que toutes les options de l’outil fonctionnent avec votre site web (oui, ça augmente assez considérablement la charge de tests en fonction du nombre de fonctionnalités disponibles dans l’outil) ;
    • S’assurer que l’outil n’ajoute pas des problèmes et non-conformités d’accessibilité à votre site web (un audit indépendant de l’outil sera nécessaire) ;
    • Se demander, selon les besoins, si un outil gratuit, open-source, qui s’installe sur votre propre serveur, voire un outil moins « usine à gaz » ne suffirait pas.

La clé, c’est : formez-vous et faites-vous accompagner par des experts et expertes en accessibilité. Même après une formation, on ne maîtrise pas le sujet à 100%. On découvre toujours des situations inconnues, pas vues en formation et avec lesquelles on ne sait pas comment faire. À plusieurs et avec l’expérience, on y arrive mieux.

Quelques ressources pour vous accompagner vers la mise en accessibilité

  • Le « Guide du chef de projets RGAA 3 » réalisé par la DINUM (anciennement DINSIC, anciennement DISIC). Il n’est pas à jour car nous sommes aujourd’hui en version 4 du RGAA mais il y a quelques clés qui pourraient servir, notamment la partie « L’accessibilité dans la gestion de projets ».
  • Le « Guide pour décideurs RGAA 3 » réalisé par la DINUM. Il n’est pas à jour non plus mais certains contenus restent pertinents.
  • L’ensemble de pages « Planning and Managing Web Accessibility » de la WAI (Web Accessibility Initiative, qui édite les WCAG).
  • Il existe un certain nombre d’autres guides que je regroupe sur mon wiki à la page « Guides d’apprentissage de l’accessibilité ».

Conclusion

Les outils-surcouches d’accessibilité ne rendront pas vos sites accessibles aux personnes handicapées ni ne les rendront conformes aux règlementations en vigueur. Ne croyez pas ce que les sites de ces outils, leurs vendeurs et vendeuses disent. Ce ne sont pas des solutions d’accessibilité, ce sont des aides techniques, des technologies d’assistance. Les aides techniques ne rendent pas le numérique accessible. Elles aident à y accéder en fonction de besoins bien spécifiques et, si la base n’est pas accessible, ces aides techniques ne fonctionnent pas.

Ce serait génial que l’accessibilité des sites web puisse se faire en un clic. Oui, je devrais faire autre chose de mon métier mais ce ne serait pas grave. Ce n’est pas le cas. Les experts et expertes en accessibilité ont encore beaucoup de travail.

En tant qu’utilisatrice ayant besoin d’accessibilité, ce que j’attends, ce n’est pas un énième bouton « accessibilité » sur chaque site que je consulte : c’est un site qui respecte les règles WCAG au niveau AA minimum afin que tous les mécanismes que je pourrais mettre en place dans mon navigateur pour personnaliser ma navigation puissent fonctionner. Par exemple, accrochez-vous pour agrandir la taille de police dans un site qui a des hauteurs fixes pour ces éléments. Ce dont j’ai besoin pour m’aider, c’est une extension de navigateur avec des options que je puisse choisir à ma convenance sans dévoiler quel trouble, handicap ou maladie je peux avoir. Une extension de navigateur dans laquelle on ne traque pas l’usage que j’en ai parce qu’il n’y a que moi qui ait besoin de ces informations.

En attendant, je partage sur cette page de mon wiki les aides techniques que j’utilise au quotidien ou de temps en temps selon les besoins au cas où ça pourrait servir à d’autres car je crois qu’il faut justement améliorer la connaissance de ces outils (qui ne sont pas magiques non plus !). De nombreuses personnes en ont besoin et ne les connaissent pas. Je suis sûre qu’il y en a qui m’aideraient et que je ne connais pas encore. Ces outils peuvent être utilisés sur toutes les pages web et c’est ce qui fait leur force.

Je pense qu’au lieu de réinventer chaque fois la roue, on devrait améliorer ce qui existe et en faire la promotion pour que les gens sachent que ça existe.

Quoiqu’il en soit, les outils de personnalisation des interfaces sont complémentaires à la mise en accessibilité réelle dans le graphisme et le code source d’un site web mais ce ne sont jamais des remplaçants. Sans accessibilité réelle, ces outils ne fonctionnent pas bien. Sans accessibilité réelle, les personnes handicapées seront toujours handicapées par l’inaccessibilité des sites web. C’est une aberration de vendre ces outils en les opposants à la mise en accessibilité d’un site web. Oui, c’est moins cher mais c’est parce que ce n’est pas du tout la même chose. La magie n’existe pas. Si c’est trop beau pour être vrai, c’est probablement que ce n’est pas vrai.

Lectures complémentaires sur les outils-surcouches

Je vous partage ci-dessous une liste d’écrits et vidéos en anglais et en français à propos des outils-surcouches par des gens qui font le web ou en auditent l’accessibilité.

Articles en anglais

Aux États-Unis, les outils de surcouche n’empêchent pas les poursuites judiciaires

Articles en français

En 2023, plusieurs organisations officielles se sont enfin prononcées sur les outils de surcouche

L’European Disability Forum (EDF), l’International Association of Accessibility Professionals (IAAP), la Commission Européenne ainsi que la DINUM (Direction Interministérielle du Numérique, en France) se sont toutes positionnées en disant qu’aucun outil de surcouche d’accessibilité ne permet de rendre un site accessible aux personnes handicapées, ni de rendre un site web conforme à la norme (WCAG, EN 301549, RGAA), ni de répondre aux obligations légales d’accessibilité.

7 commentaires sur « Les outils de surcouche d’accessibilité web : mensonges et boules de gomme »

  1. Bravo pour cet excellent article abondemment sourcé et très clair. Merci ! Mon site de 2002 à base de tableaux imbriqués et pas mis à jour depuis… va être mon prochain chantier pour mettre en oeuvre le Level AAA.

  2. Merci beaucoup pour cet article détaillé, j’espère qu’il fera son bout de chemin dans la tête des décideurs et les aidera à prendre les bonnes décisions.

  3. Bonjour,
    Excellent article synthétique.
    Nous nous sommes déjà croisés sur Alsacréations ou Twitter et vos avis sur le sujet m’aident à cerner un peu mieux les contraintes d’accessibilité à surmonter. J’utilise volontairement et sans volonté de provocation le terme « contraintes » car je développe actuellement un générateur de sites web qui a pour ambition, entre autre, d’intégrer justement l’accessibilité au plus haut niveau possible, mais force est de constater que le chemin est difficile tant les règles sont nombreuses et leur vérification pour un site donné pas toujours facile à réaliser.
    Dans l’immédiat, j’obtiens un score 100 sur Tanaguru mais, comme vous le faisiez fort justement remarquer sur l’un de vos commentaires Twitter, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg, si je puis dire, et il reste énormément de choses qui, soit ne pourront pas être testées autrement que manuellement, soit nécessitent des outils qui, pour certains, sont payants.
    A l’heure actuelle, je concentre mes développements sur l’intégration de l’accessibilité dans le générateur, mais pour être honnête je ne suis pas prêt à recourir moyennant finance à un expert et/ou un quelconque outil de validation nécessitant un engagement financier.
    Et c’est là que le bât blesse, car il peut y avoir volonté d’atteindre un niveau de qualité le plus élevé possible et des obstacles pécuniers ou autres à l’atteindre.
    Quoi qu’il en soit je continue à parcourir les articles sur le sujet, dont les vôtres, et tenter d’intégrer au mieux ces notions, sachant que cela risque d’être imparfait.
    L’essentiel est, paraît-il, de participer…
    Cordialement.

  4. Bravo la Lutine ! Un article très fouillé qui règle définitivement son compte à cette véritable escroquerie. Et avec la pression qu’on sent monter sur la conformité, on risque de voir fleurir une tonne de « solutions » du même acabit, sans parler d’ « experts » peu ou mal formés dont on commence à constater les méfaits lorsqu’on est amenés à auditer le résultat de leurs conseils.

  5. Merci Véronique ! Ah, toi aussi tu as remarqué des déclarations d’accessibilité totalement fausses ? Tout cela m’inquiète terriblement ; c’est vraiment « 1 pas en avant, 2 pas (et plus) en arrière »… Je continue à croiser les doigts mais on a besoin d’actions fortes maintenant si on veut que ça bouge pour de vrai (j’ai un peu d’espoir avec une prochaine action d’associations qui, j’espère, aboutira à du concret…).

  6. 15 ans après ma formation Accessiweb, force est de constater que ça n’a que très peu bougé. Tant que les associations ne montreront pas les dents, et que les sanctions resteront des « voeux pieux », il ne se passera pas grand chose de massif…
    Mon seul espoir réside dans les écoles du numérique. Ca semble frémir… notamment dans notre région des Pays de la Loire.
    Le problème est que l’accessibilité est enseignée comme une « surcouche » (encore !) aux formations d’intégration. Compliqué d’expliquer à un étudiant que ce que lui a appris le prof quelques semaines auparavant (voire la veille) est au mieux incomplet, au pire erroné… Les écoles devraient exiger que leurs enseignants soient formés. Mais ils ont déjà du mal à recruter, du fait de leurs tarifs, alors…

  7. Oui, si l’accessibilité n’est enseignée qu’à part des autres matières, il y a peu de chance que ça fonctionne…

    Clairement, il faut une vraie volonté politique pour que ce sujet bouge et, pour l’instant, on voit bien qu’elle n’est pas là…

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