Ça ne vous aura sans doute pas échappé, qu’en France, dernièrement, une partie de la population lutte contre le recul de ses droits.
La retraite à 60 ans, on s’est battu·es pour la gagner, on se battra pour la garder !
Slogan de manifestation
Le sujet clivant du moment est, effectivement, au départ, le passage de l’âge légal de la retraite de 62 à 64 ans (et l’augmentation de la durée de cotisation qui fait que, pour partir à taux plein, il faudra parfois partir à 67 ans…). Hé oui, il y a eu un précédent recul de 60 à 62 ans… L’État fait reculer encore de deux ans et la population veut repasser à 60 ans et pas juste à 62 ans, normal ! On nous bassine sur le fait que l’espérance de vie augmenterait et que ça justifierait de travailler plus longtemps. Or, depuis 2014, l’espérance de vie à la naissance est plutôt en stagnation si on observe les courbes de l’INSEE. Bref, plus de gens vont mourir avant de voir leur retraite. Et ce n’est pas le seul mensonge au sujet de cette réforme.
Le sujet n’est plus seulement cette réforme mais également la mise à mal de la démocratie avec le passage en force de cette loi à coups de 49.3 multiples, la répression policière avec usage disproportionnée de la force et des armes (dénoncée par la Ligue des Droits de l’Homme et la Défenseure des Droits (archive)). Il s’agit également de la destruction de notre système de protection sociale qui prend de plus en plus d’ampleur au fil des présidents et gouvernements de droite qui s’enchaînent, avec une accélération notable depuis Macron (ordonnances travail, réforme du chômage…). L’extrême-droite monte également fortement face au mécontentement.
Personnellement – et si vous me lisez, certainement que vous non plus – je ne veux pas de tout ça. On sait ce qui nous attend si l’extrême-droite arrive au pouvoir (en particulier si on fait partie des personnes minorisées, discriminées). Quand on voit ce qu’on vit maintenant, dites-vous bien que ce sera encore pire. Et pourtant, on a déjà atteint un niveau extrême.
Alors, oui, il serait grand temps que les personnes privilégiées (notamment valides, bien payées, avec des boulots bien au chaud le cul posé sur une chaise) se mettent en grève, sortent en manif, rejoignent la lutte de quelque façon que ce soit mais en faisant plus que donner à des caisses de grève (ce qui est super mais absolument pas suffisant quand on a les moyens de faire plus) ! Si vous travaillez dans ou pour une entreprise du CAC 40, symbole fort du capitalisme, c’est d’autant plus important de se mobiliser en masse dans son entreprise.
Vraiment, syndiquez-vous, rejoignez la lutte ! Qui veut sérieusement de ce monde-là ?
Pourquoi je ferais grève ? Je vais pas faire payer mon patron, je ne veux pas envoyer un mauvais signal…
Tout d’abord, il faut bien se remettre en tête que faire grève est un droit reconnu à toute personne salariée dans une entreprise (là, je vais parler du secteur privé, c’est un peu différent dans le secteur public). On ne peut pas être sanctionné·e ou licencié·e pour avoir fait grève.
On va différencier deux types de grève :
- la grève pour lutter au sein même de l’entreprise (conditions de travail internes, revendications salariales…) auquel cas il faut être au moins deux dans l’entreprise à faire grève avec des revendications ;
- la grève nationale sous condition d’un appel à la grève national lancé au moins par un syndicat de sa branche (comme Solidaires informatique, par exemple, pour les travailleurs et travailleuses du numérique, du conseil et du jeu vidéo) ou un syndicat interprofessionnel (comme Solidaires (anciennement connu sous le nom SUD), la CGT, la CFDT…).
Dans la lutte qui nous intéresse, il est question de grève nationale donc ce ne sont pas des revendications liées à votre patron spécifiquement mais au gouvernement. Votre patron est peut-être cool, super gentil, tout ça, alors ça vous gêne ? Vous pouvez toujours lui expliquer pourquoi cette lutte est importante pour vous et vos collègues et que ce n’est pas contre lui. Et s’il réagit mal, c’est qu’il n’est pas si cool que vous le pensez.
Je rappelle que vous ne pouvez pas être sanctionné·e pour avoir fait grève. Et si vous êtes ou si vous connaissez des personnes dans l’informatique, jeux vidéos, bureaux d’études dont l’entreprise vous/les empêche de faire grève, le syndicat Solidaires informatique est prêt à aider même si pas syndiqué·e.
La grève est d’autant plus utile lorsqu’elle est massive afin de réussir à bloquer l’économie. Certes, cela implique de perdre une ou des journées de salaire mais vu les salaires dans l’informatique, il y en a pas mal d’entre vous qui pourraient s’y mettre au lieu de toujours laisser les personnes précaires faire grève à votre place. Et si vous travaillez pour une entreprise du CAC40, vraiment, votre patron ne mérite pas autant de considération que ça, croyez-moi !
Massivement, nous avons du poids. Organisez-vous avec vos collègues ! C’est hyper fédérateur ; coordonner des luttes collectives donne de l’énergie !
Battez-vous pour vous mais aussi pour les personnes qui vont en chier plus que vous et n’ont pas forcément les moyens de se battre ! C’est un combat social.
Est-ce qu’on est en grève aujourd’hui ? (orienté informatique)
Manifester ? Oh la flemme, c’est trop violent, ça me fait peur, ça sert à rien…
Toute ma vie, j’ai eu peur d’aller en manifestation. Ce que j’appellerais ici « la propagande des images » a bien marché sur moi : on voit principalement dans médias et sur les réseaux sociaux les images de chaos, de casse, de flics qui tapent et mutilent, etc.
Grâce à une mobilisation organisée au sein de la coopérative où je travaille (mobilisation pour laquelle j’ai participé au lancement, aussi surprenant soit-il pour moi à ce moment-là), j’ai pu participer à ma première manifestation de ma vie lors du mouvement contre la réforme des retraites. Collectivement, on a choisi de s’y rendre dans un cortège calme ; ce qui était rassurant et, maintenant, je n’ai plus peur. On a pu échanger entre nous, passer de bons moments, rigoler en lisant les pancartes des manifestants et manifestantes, etc. C’était chouette !
Conseils de manif’
Si vous avez peur, n’hésitez pas à suivre ces points :
- Y aller avec des personnes de confiance qui ont les mêmes objectifs que vous ; ça rassure et on se protège ensemble au besoin ;
- Se mettre dans un grand cortège en bout de manifestation (plutôt calme en niveau sonore) ou dans un cortège syndical (plus bruyant mais pas forcément insurmontable et ça peut être sympa si on a envie de chanter des slogans, aussi !) ;
- S’extirper calmement quand les flics commencent à gazer (oui, c’est leur stratégie, je sais bien, mais tout le monde ne peut pas tenir face aux lacrymo).
Dans tous les cas, suivez ces points :
- Prenez toujours du sérum physiologique sur vous au cas où vous passez dans un nuage de gaz lacrymogènes malgré toutes les précautions (ça brûle très fort !) ;
- Évitez de mettre des produits sur votre visage (crème, maquillage…) avant d’aller en manifestation car il semble que l’effet des lacrymos soit encore pire dans ce cas ;
- Allez-y avec des vêtements et chaussures confortables car on marche pas mal. Le bâton de marche, si vous vous fatiguez vite, est un allié de poids !
- Prenez à boire et des trucs sucrés à manger.
Créer une pancarte
Il y a aussi quelque chose qui est très motivant pour aller en manif’ : créer une pancarte ! Même si on n’a pas envie de scander des slogans, de chanter, on a toujours des choses à dire, des revendications (quitte à ce que ce soit un gros « Merde ! » écrit en rouge sur une pancarte parce que vous en avez marre).
Exprimez-vous ! Créer sa pancarte est amusant et c’est encore plus amusant de voir les gens y réagir quand on la brandit bien haut en manif’ ! Ça fait sourire, ça fait parler, bref, c’est sympa !
À quoi ça sert de manifester ?
À s’exprimer, à faire du bruit, à faire collectif, à rencontrer d’autres personnes militantes, à montrer qu’on est nombreux et nombreuses à ne pas être d’accord, à embêter le monde aussi, évidemment.
Ce n’est pas la seule forme de mobilisation qui existe, il existe aussi d’autres formes comme les blocages, par exemple. Dans la métropole nantaise, une carte collaborative des actions a été créée pour connaître les actions à venir.
100 jours de zbeul Les manifs deviennent un jeu pour compter les points entre départements selon l’impact qu’elles ont eu. Hé oui, vous voyez que les manifs, c’est utile puisque ça fait partir les personnalités de l’État du lieu où elles comptaient se rendre !
Je ne vois pas pourquoi me syndiquer, mon entreprise est cool, je n’ai pas de problème, les syndicats c’est un vieux truc…
La Dares nous apprend qu’en France, en 2019, 10,3 % des personnes salariées déclaraient adhérer à un syndicat. Depuis janvier 2023 avec la mobilisation contre la réforme des retraites, le nombre d’adhésions a fortement augmenté comme on peut le lire sur l’affreux site inaccessible de TF1. Il est encore trop tôt pour connaître le taux de personnes salariées syndiquées en 2023 mais un véritable mouvement s’est enclenché.
Pour ma part, j’ai déjà été syndiquée (à la CGT) par le passé mais, déçue de l’absence d’accueil, de cohésion en étant une syndiquée isolée (c’est-à-dire pas au sein d’une section d’entreprise), je suis partie. J’avais demandé de l’aide pour être accompagnée lors d’une rupture conventionnelle et on m’a dit que ce n’était pas utile (or, si je ressens que j’en ai besoin, c’est que c’est utile !). Je suis donc allée chercher du côté de Solidaires pour être accompagnée et j’ai été très bien reçue. J’ai ensuite attendu d’être de nouveau salariée pour me syndiquer dans un syndicat Sud/Solidaires de ma branche : Solidaires Informatique (même si on peut se syndiquer en étant au chômage). Il se trouve que c’est arrivé en plein dans la mobilisation en cours et c’est pas plus mal car j’avais besoin de trouver un cadre fédérateur et plein de cohésion.
À quoi ça sert de se syndiquer ?
Concrètement, se syndiquer peut apporter plusieurs choses :
- Le soutien financier pour le syndicat qui en a besoin pour mener ses actions à bien (manifestations, formations, accompagnements juridiques, mise à disposition d’outils, communication…) ;
- Être informé·e directement de ce qui se passe autour du droit du travail, des jurisprudences, donc connaître ses droits (c’est super important) ;
- Pouvoir poser des questions sur le droit du travail, les conventions collectives, son contrat de travail, des comportements douteux dans son entreprise et avoir des réponses claires et directes ;
- Défendre ses droits, en obtenir d’autres, les améliorer ;
- La possibilité de se faire aider en cas de soucis dans son entreprise. On peut effectivement faire appel aux conseillers et conseillères des salarié·es sans se syndiquer pour se faire accompagner lors d’une réunion pour une rupture conventionnelle ou un licenciement. Toutefois, lorsqu’on a besoin d’un accompagnement plus important pour aller aux prud’hommes, par exemple, le soutien d’un syndicat est important. Par exemple, chez Solidaires Informatique (je ne sais pas pour les autres syndicats), le syndicat avancera les frais qui seront remboursés seulement si vous gagnez la procédure ;
- Se retrouver dans un réseau fédérateur pour les luttes politiques (le travail est politique, ne l’oubliez pas !), ne pas être seul·e et faire collectif ;
- Enfin, je finirais par le fait que se syndiquer ne se fait pas que pour soi mais aussi pour les autres. Globalement, si tout va bien pour vous, que vous n’êtes victime d’aucune discrimination au quotidien (sexisme, validisme, racisme, LGBTQI+phobie, etc.) alors vous avez certainement de l’énergie à dépenser pour vous battre en faveur des personnes qui en ont moins.
Il faut savoir que se syndiquer ne coûte pas grand chose car c’est une cotisation proportionnelle au salaire (1 % ou moins en général). De plus, 66% de la cotisation annuelle est déductible des impôts (qu’on en paye ou pas !). Et, si le syndicat ne nous convient pas, on part quand on veut car il n’y a pas d’engagement de durée.
Comment choisir son syndicat ?
On choisit son syndicat en fonction des valeurs qu’il porte. Un syndicat, c’est politique donc si vous n’êtes pas en phase avec ses valeurs, ses actions, etc., vous ne vous sentirez pas à l’aise.
Il existe différents types de syndicats salariaux :
- les syndicats réformistes (CFTC, CFDT…) ;
- les syndicats de lutte (CGT, les syndicats de l’union Sud/Solidaires) ;
- les syndicats révolutionnaires (CNT).
Je ne vais pas vous expliquer tout ça en détails mais en gros, les syndicats réformistes sont ceux qui cherchent toujours à négocier même quand il n’y a rien à négocier. Leur engagement en faveur de nos droits me semble donc discutable. Je ne vous jugerai pas si vous y adhérez mais cela me semble bon à savoir. Voici deux vidéos qui devraient vous aider à comprendre un peu mieux tout ça :
- Une vidéo rigolote de 15 minutes (malheureusement non sous-titrée) sur l’histoire de la division syndicale, conférence gesticulée de Franck Lepage et Gaël Tanguy, publiée le 20 octobre 2013 ;
- Une vidéo de 30 minutes sous-titrée : « Nicole Notat, comment la CFDT est-elle devenue « réformiste » ? », par Blast, publiée le 5 avril 2023.
Les syndicats ne sont pas forcément vieillots
Pour parler de mon expérience actuelle chez Solidaires Informatique, je peux vous dire que c’est très loin d’être vieillot :
- C’est un syndicat autogéré (plus horizontal que vertical) donc tout le monde peut exprimer son avis dans les réunions et on nous écoute. Les décisions sont prises au consensus ou, s’il n’est pas atteint, à la majorité. Ça n’empêche pas d’avoir, parfois, de vifs débats mais même moi, après seulement quelques jours d’ancienneté, j’ai pu m’exprimer et être écoutée. J’ai trouvé ça formidablement incroyable ;
- Si une personne veut porter un sujet au sein du syndicat, elle peut se lancer et organiser des discussions et actions avec des camarades (tant que ça reste en accord avec les valeurs, bien sûr !) ;
- Il existe des listes de diffusion où nos adresses mails ne sont pas dévoilées quand on envoie un mail ;
- Il y a des groupes Signal (l’outil fait que nos numéros de téléphone sont dévoilés, c’est pas terrible mais c’est mieux que des groupes sur WhatsApp !) ;
- Il y a un outil de partage de documents via Nextcloud ;
- Le syndicat et certaines sections territoriales (comme celle de Loire-Atlantique) communiquent sur Twitter mais aussi sur Mastodon ;
- Il y a 2 réunions d’accueil d’une heure par mois en visio et des formations accueil gratuites d’une journée en présentiel ;
- Il y a des groupes de travail et des commissions sur le féminisme, l’antiracisme, les coopératives, le handicap, etc.
Par ailleurs, dans le cadre de la mobilisation contre la réforme des retraites/contre la politique actuelle, Solidaires Informatique a publié un « Appel à la grévilla », appel à la grève jusqu’au 31 décembre 2027.
Dans ce syndicat, je trouve vraiment de la bienveillance, de l’écoute, de l’action, de la volonté d’agir, de la volonté de faire collectif. Bref, des forces vives qui travaillent ensemble pour une meilleure société. Évidemment, tout n’est jamais parfait et il y a des axes d’amélioration mais c’est à nous toustes de travailler pour ça.
Un grand merci à mes camarades de Solidaires Informatique qui m’ont beaucoup appris ces dernières semaines !
Et si vous êtes autour de Nantes et que vous voulez discuter de tout ça avec moi, n’hésitez pas à me rejoindre dans le cortège de Solidaires (camion avec un gros ballon rose, là où il y aura des drapeaux et chasubles Solidaires Informatique blancs et bleus) lors de la manifestation du 1er mai !
Ressources complémentaires
- 64 ans, c’est non – S’informer sur la réforme des retraites ;
- La page « Mobilisation/grève » sur mon wiki qui regroupe des ressources sur le sujet (dont certaines déjà en liens dans cet article) ;
- « [AMA] je suis Arnaud Landais Ingénieur Informaticien et malgré tout syndicaliste à Solidaires Informatique, posez moi vos questions! », un fil de discussion Reddit du 6 mars 2023 où un camarade répond à des questions sur le syndicalisme ;
- « Faire grève dans l’informatique : un secteur clef qui s’ignore », article de Guillaume Bernard dans Rapports de force, publié le 2 février 2023.
- Bonus : « Nous allons mettre le zbeul », chanson pour manif’ ✊, par moi-même, publié le 23 avril 2023.
Syndiqué aussi depuis des années, gréviste à mes heures, et toujours l’objet de plaisanteries de la part de certains collègues en mode « ah ah mais ici c’est inutile, tout se passe bien ».
Alors que d’une part, ça me permet d’être solidaire de celles et ceux pour qui ça ne se passe pas bien et d’autre part, on se rend compte parfois en creusant que si « ça se passe bien », c’est surtout parce que les gens ne veulent pas voir les situations qui contredisent cette version…
Exactement ! Dans le même genre que ton dernier point, je réponds que « ça se passe bien jusqu’au jour où on apprend des choses sur ses droits et qu’on se rend compte qu’en fait, ils ne sont pas respectés ». Et puis, ça peut bien se passer et tout à coup mal se passer pour tout un tas de raisons. Au moins, le jour où ça va pas, on sait vers qui se tourner ; c’est plutôt rassurant.