Un vendredi soir ordinaire au cours de danses irlandaises

Le vendredi soir, je finis le travail à 17 heures 30, officiellement. Parfois, je reste un peu plus pour finir ce que je fais ou me donner des indications pour reprendre plus tard. Tout laisser en plan le vendredi jusqu’au lundi (voire plus loin encore selon mon calendrier de projets) est la meilleure façon de se perdre au retour.

Mais, de toutes façons, je ne peux pas finir beaucoup plus tard car, le vendredi soir, je vais au cours de danses irlandaises.

J’adore l’Irlande. C’est une histoire d’amour qui a commencé quand j’avais 4 ans, avec la chanson « Zombie » du groupe de musique The Cranberries qui passait en boucle à la radio et que je chantais apparemment à tue-tête. Je me souviens que je chantais oh e-yo-hey, e-yo-hey hey-hey-hey jusqu’au jour où j’ai rencontré une fille au collège qui chantait, vraiment bien, cette chanson dans la cour avec les paroles. Alors, j’ai su le nom du groupe, le titre de la chanson et, quand j’ai eu Internet, j’ai pu aller voir les paroles et mieux les comprendre. Et puis, en 2002, l’album « The Wide World Over » du groupe The Chieftains est sorti et mon père l’a acheté. À cet instant, j’ai vraiment découvert la musique irlandaise et ça a été une révélation. En 2005, je suis allée trois semaines en colonie en Irlande grâce au Comité d’Entreprise de ma mère (c’est vachement bien les CE qui proposent des voyages comme ça !). On a fait un tour de l’Irlande ; c’était tellement merveilleux que je n’ai plus qu’une hâte depuis, c’est d’y retourner.

J’ai découvert les claquettes grâce au film « La Guerre des boutons, ça recommence », de 1995 mais je ne sais pas quel âge j’avais quand je l’ai vu. Ce n’était qu’un petit morceau de film et de danse et, même pas des vraies claquettes, juste quelques pas dansés sur une table mais ça m’avait marquée (en vidéo ici). Ensuite, ça a dû être au Festival Interceltique de Lorient. C’est là bas, en 2015, que je me suis dit mais attends, j’habite à Nantes, il doit bien y avoir des cours de danses irlandaises. Et en septembre, j’étais inscrite.

En soft shoes de danses irlandaises : des chaussons en cuir noir qui ne recouvre pas le dessus du pied et dont le laçage croisé laisse bien voir le pied, ici en collants rouges
En soft shoes de danses irlandaises – © Julie Moynat

L’aller en voiture, non souhaité mais inévitable

Pour en revenir au vendredi soir, à 18 heures, c’est l’heure de partir à la danse, au plus tôt. Au plus tard, 18 heures 30 mais là, il faut croiser les doigts pour que le Pont de Cheviré ne soit pas bouché (à Nantes, pour aller du Sud au Nord, il faut forcément traverser la Loire). Je déteste être en retard.

Je ne peux pas y aller en transports en commun. C’est trop long pour arriver à temps et mal desservi. Pourtant, j’habite dans une commune à côté de Nantes et je vais dans une commune à côté de Nantes mais aller du Sud au Nord, ou inversement, prend deux heures en transports en commun, vingt à trente minutes en voiture.

Donc, je dois y aller en voiture, seule. Je n’aime pas ça. Pour la planète et pour mon anxiété quand je conduis. Les deux années précédentes, c’était dans le centre de Nantes, j’y allais en tramway mais la salle a été vendue donc, maintenant, il faut aller en dehors de Nantes.

Je déteste conduire. L’apprentissage de la conduite m’a été au moins aussi dur que l’apprentissage du vélo.

Je respecte les limitations parce que ce sont des règles établies pour une bonne raison : notre propre sécurité et celle des autres. Et puis, avoir un accident, payer une amende et perdre des points sur son permis pour ne pas avoir suivi les règles sciemment et volontairement est, selon moi, une bêtise certaine.

Conduire m’est anxiogène. Les autres me font peur et j’ai parfois peur de moi aussi parce que je peux paniquer. Depuis que j’ai travaillé sur mes émotions, ça va beaucoup mieux. Je vais à la danse en conduisant de la façon la plus zen que je puisse le faire. Je ne m’embête même plus à doubler les véhicules qui roulent de 10 à 20 kilomètres / heure en dessous des limitations parce que je sais que ça va être bouché plus loin sur la route. Je reste sur la voie de droite, comme ça, je n’aurais pas à me préoccuper de me rabattre ensuite au moment où il le faudra. Bon, je l’avoue, quand il y a trois véhicules d’affilée qui me font des queues de poisson parce que les gens à l’intérieur n’ont pas compris l’usage des rétroviseurs, ma colère arrive au galop.

Quand j’arrive au parking, c’est un rangement en épi ; le meilleur rangement du monde pour se garer sans effort ! Comme j’arrive à peu près toujours à la même heure, je trouve toujours ma place dans la même zone, c’est rassurant.

Le cours de danse, un effort physique et mental

Préparation au cours

À mon arrivée dans la salle de danse, il y a déjà un cours qui se déroule. La salle est grande. Il y a une grande zone légèrement surélevée avec un sol en parquet flottant : la piste de danse. Et devant, une zone, par laquelle on arrive, qui fait office d’espace pour les spectateurs et spectatrices : il y a des petites tables carrés avec des chaises de jardin sur toute la longueur. C’est là qu’on met nos affaires car le vestiaire est petit et il y a certaines affaires dont on a besoin pendant le cours et qu’on doit donc avoir à portée de main (chaussons, claquettes, bouteille d’eau, serviette, etc.).

J’essaye toujours de mettre mes affaires à la même place mais les autres ne font pas ça alors je dois souvent me mettre ailleurs quand la place est prise. J’ai un moment de flottement où je me demande où je pourrais bien me mettre, où y a-t-il encore de la place, quel serait le meilleur endroit.

J’ai pris conscience que c’était un comportement étrange pour les autres personnes autour de moi le jour où toutes les tables avaient été alignées le long du mur avec aucune chaise autour pour s’asseoir. Les chaises étaient disposées en rangs devant la piste de danse, d’autres étaient empilées sur un côté de la salle. Un changement de disposition dans la salle qui était nécessaire pour le stage de danse qui avait lieu le lendemain. Je n’avais alors plus de chaise devant une table pour organiser mes affaires correctement et comme d’habitude avant le cours. Je suis restée plantée là devant cette organisation qui ne me convenait pas du tout. On m’a dit : tu as l’air perdu ?. Oui. J’ai demandé si je pouvais prendre une des chaises empilée pour la mettre à une table et je la rangerais en partant. On m’a dit non. J’en ai parlé avec une autre de mes camarades de mon cours de danse et elle m’a dit de le faire, que c’était pas grave. Alors j’ai pris une des chaises empilées et j’ai recréé mon confort. Je l’ai rangée en partant et ça n’a donc rien changé à la disposition de la salle pour le lendemain. Flûte !

Le cours

D’abord, on commence toujours par l’échauffement, bien sûr. On tourne les chevilles, on saute, on court sur place. Et, après, série d’abdos. Qui a dit que la danse n’était pas du sport ? Ah oui, des personnes qui n’en ont jamais fait. Venez voir un peu !

Les soft shoes

On commence le cours par les danses en soft shoes (en chaussons) avant de passer aux claquettes. Pour vous donner une idée, si vous ne connaissez pas, dans la vidéo de la chorégraphie « Countess Cathleen » de Riverdance (1995), la première partie de la danse est en soft shoes.

Ce n’est pas du tout moins difficile que les claquettes mais c’est juste beaucoup plus calme pour les oreilles. C’est souvent même beaucoup plus physique et c’est d’ailleurs avec un certain pas de soft shoes que j’ai découvert les périostites tibiales (mal des coureurs et coureuses mais aussi des danseurs et danseuses irlandaises). Ô joie !

Les claquettes

Après les soft shoes viennent les danses en claquettes. Vous pouvez regarder cette autre vidéo d’une danse en claquettes (« Reel Around The Sun » de Riverdance (Live from New York City, 1996)) même si, là, vous avez sans doute une meilleure idée de ce dont il s’agit.

Les danses en claquettes sont donc assez bruyantes et c’est d’ailleurs un peu le but de ces chaussures de danse.

L’apprentissage des pas et des danses

Avant d’apprendre une danse, on apprend, bien sûr, les pas. En commençant du pied droit, d’abord. Un pas, un deuxième pas, puis l’enchaînement des deux. Un troisième pas, un quatrième, puis l’enchaînement des deux. Ensuite, l’enchaînement des quatre et ainsi de suite.

Pendant les deux années précédentes, je suivais le cours « beginner » (débutant / débutante). Ça allait à une meilleure vitesse pour moi que le cours suivant où je suis cette année, le « primary ». C’était plus facile de suivre les pas visuellement. Il m’est très difficile de reproduire un pas quand je le vois si je ne le connais pas. Je vois les pieds qui bougent, se mélangent mais je ne distingue pas le schéma réalisé. Il me faut le décortiquer complètement, lentement, donner des noms à chaque pas (ils en ont presque tous mais des fois, il faut inventer un peu) et tout noter. J’écris mes partitions de pas de danse. Tel pas, tel pied. Noter tous les pas m’aide beaucoup à comprendre et à mémoriser. La plupart du temps, pour les nouveaux pas, je demande à ce que la prof le fasse lentement et je filme pour pouvoir écrire les pas chez moi, tranquillement et pouvoir bien analyser chaque détail.

Une fois qu’on maîtrise la partie précédente, on apprend à faire pareil en commençant du pied gauche. Ce n’est pas toujours une mince affaire.

Ensuite, on apprend à faire pareil dans l’espace, parfois en tournant. Là, ça devient plus compliqué car j’y perds totalement mes repères initialement acquis. Et, comme je m’aide aussi beaucoup des personnes devant moi pour copier parce que j’ai du mal à tout mémoriser, je me retrouve un peu seule.

Alors, souvent, je danse avec mes fiches dans les mains, sous les yeux, parce que c’est difficile de retenir tous ces pas, ces enchaînements. Ce sont comme des suites de chiffres. Il faut que j’apprenne les pas comme une poésie mais le temps me manque cruellement.

Puis, on apprend avec la musique, et ensuite de plus en plus vite jusqu’à atteindre la vitesse normale ; qui est souvent plus rapide en fonction du niveau, aussi.

Parfois, on fait des danses en groupe. Il faut alors souvent se tenir les mains et j’ai horreur de ça. Ça me perturbe beaucoup mais je fais des efforts. Et on tourne souvent. On se retrouve face à une autre personne qui fait les mêmes pas mais pas en miroir. Accroche-toi cerveau !

Pour réussir tout ça, il faut donc bien tout mémoriser. Et pour que je puisse mémoriser, il me faut avoir un nom pour chaque pas et bien les comprendre dans les moindres détails. Alors quand j’en suis encore à comprendre comment faire l’enchaînement en démarrant avec ma jambe droite, les autres en sont à l’apprentissage en musique. Je me retrouve finalement à devoir apprendre toutes les étapes en même temps : droite, gauche, espace, musique, vitesse. Forcément, mon cerveau s’égare et c’est très difficile à suivre. Évidemment, ça dépend aussi de mon état de fatigue et comme on a cours le vendredi soir, après cinq jours de travail, c’est un peu compliqué.

Dans mon cours, on est assez nombreux et nombreuses et, avec des niveaux différents car tout le monde n’a pas rejoint le niveau « primary » au même moment, niveau de cours où on reste plusieurs années (le nombre d’années dépend de chaque personne).

En conséquence, parfois, on se sépare en deux groupes pour les claquettes et alors les deux groupes ne font pas les mêmes pas et ne dansent pas à la même vitesse. Quand on est en plein apprentissage de nouveaux pas, le bruit que fait le groupe des danseurs et danseuses plus avancées m’empêche de travailler mes pas car cela m’empêche d’être concentrée et ça me déclenche parfois une surcharge sensorielle. Je n’entends plus que les claquettes qui claquent de façon désordonnée entre les deux groupes. Le son est beaucoup trop fort. Ça me fait totalement paniquer. Maintenant, j’ai trouvé une technique quand j’atteins ce niveau d’anxiété, je m’éclipse dans le vestiaire pour m’entraîner à faire mes pas dans mon coin, plus dans le calme, avec mes fiches.

Plusieurs fois, cette année, je me suis dit c’est trop dur, je vais arrêter mais je tiens le coup. Je tiens le coup parce que, la danse irlandaise, c’était un rêve et c’est la troisième année que j’essaye de le réaliser. La réalisation, c’est quand j’y arriverai vraiment bien.

Mais j’ai participé à deux galas les deux premières années et, bien qu’après avoir dansé, je savais bien toutes les erreurs que j’avais faites, j’ai eu le plaisir de découvrir via les vidéos que, de l’extérieur et dans la vue d’ensemble, ça passait bien plus inaperçu que dans mon esprit. Un peu comme si mon corps avait rattrapé le coup sans que ma conscience s’en mêle. Alors, j’ai déjà pu être un peu fière de ce que j’avais accompli. Et, il faut le dire aussi, j’ai une super prof et on s’aide beaucoup également entre danseurs et danseuses.

Rentrer en voiture, revigorée mais fatiguée

Après les premiers cours, de cette troisième année, je craquais complètement sous le poids de la difficulté. J’étais mal jusqu’à générer de la panique en rentrant le soir. À force, j’ai fini par trouver des solutions et j’ai aussi accepté que je fonctionnais visiblement différemment et que ce n’était pas grave.

Maintenant, après le cours, je suis, le plus souvent, revigorée. Si je ne me sentais pas très bien en arrivant, je me sens généralement mieux en partant. Pour autant, je n’en suis pas moins fatiguée et le retour en voiture ravive mon hypersensibilité sensorielle avec tous ces feux de voitures éblouissants. S’il y a le mode nuit sur le rétroviseur du milieu, il n’existe pas pour ceux des côtés de la voiture.

Les trajets sont plus sereins qu’après les premiers cours. Et je connais la route, je sais comment ça se passe. Je ne double personne, je ne m’énerve pas.


Voilà, c’est ma petite excursion du vendredi soir. Tout ceci vous semble peut-être trop étrange, incompréhensible mais je souhaitais raconter comme un témoignage que tout le monde n’apprend pas de la même façon. Tout le monde n’a pas le cerveau câblé de la même façon. Les objectifs sont parfois plus difficiles à atteindre qu’on ne peut se l’imaginer. De mon côté, j’ai besoin de comprendre la logique des choses, de connaître les moindres détails pour bien réussir à reproduire ce qu’on me demande.

C’est d’ailleurs avec grand intérêt que j’ai lu cet article vendredi avant mon cours (alors que j’avais déjà commencé à écrire celui-ci depuis quelques semaines) : « HTML, CSS and JS in an ADD, OCD, Bi-Polar, Dyslexic and Autistic World » de Timothy Smith.

Et aujourd’hui, c’est la Saint Patrick. C’était le bon jour pour publier cet article même si je n’irai pas dans un pub irlandais faire la fête car c’est toujours beaucoup trop plein de monde pour moi à ce moment précis. L’Irlande est dans mon cœur avec sa musique, ses danses qui m’apportent tant de bonheur à l’intérieur.

2 commentaires sur « Un vendredi soir ordinaire au cours de danses irlandaises »

  1. Hello ma jolie,
    Je sors d’un cours d’essai de danse au boulot (Zumba pour être plus précise… ^^) et lire ton article m’a fait un choc !

    Je crois qu’on est cablées pareil. Sauf que c’est comme si tu avais compris déjà énormement de choses sur ta façon de fonctionner, ce qui n’est pas encore mon cas.

    Vraiment, je suis très étonnée. Aussi, en vrac : je suis très sensible aux interfaces, à leur cohérence / ergonomie (mais n’ai ni formation, ni « légitimité » – à mes yeux en tout cas ! – pour en parler, de l’ergonomie), je galère intensément pour apprendre à conduire, je me suis posée énormément de questions sur la notion de faire la bise et avais beaucoup de mal avec ça enfant. La problématique demeure d’ailleurs, niveau pro :p
    Aussi, je comprends super-bien ce que tu dis. Même si j’ai conscience que le niveau de détail avec lequel tu développes ton propos est atypique, dans le sens où on ne voit pas ça souvent, je ressens que tu es précise (suffisamment précise), et pour moi c’est souvent quelque chose qui manque.

    Bref, je sais pas quoi faire de ce commentaire-fleuve. Je n’en poste quasi jamais, mais je vais sans doute le faire le laisser quand-même tel quel, même s’il y a un risque que tu ne comprennes pas tout haha.

    Amour sur toi, lutin du web !

  2. Bonjour la fille qui est passée par là,

    Merci pour ton commentaire. Il y a toujours une forme de réassurance avec ce genre de commentaires où je me dis qu’il y en a d’autres à qui ça arrive et peuvent me comprendre, ouf ! Ça fonctionne dans les deux sens finalement :-)

    J’ai mis du temps à comprendre ma façon de fonctionner et je n’ai sûrement pas encore terminé d’explorer ce chemin mais ça aide beaucoup. Il semble que tu sois sur la bonne voie pour y arriver de ton côté aussi. Je te le souhaite, en tout cas, car c’est libérateur.

    Merci d’être passée.

    Au plaisir !

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